Le Bhoutan, le royaume du bonheur ?

La monarchie installée au pouvoir depuis 1907 a réprimé les vingt-quatre cultures minoritaires. Le Bhoutan, petit royaume presque inaccessible, en plein cœur de l’Himalaya, brille dans l’imaginaire occidental : pays bouddhiste « semblable » au Tibet mais préservé du dragon chinois, destination touristique de luxe avec un visa de près de 250 dollars par jour et, bien sûr, de spectaculaires sommets enneigés.

En outre, le Bhoutan n’est-il pas le pays ayant introduit, au début des années 1990, la notion de bonheur national brut, qui fait ainsi rêver l’Occident comme le prouvent encore les assises du bonheur tenues à Sète les 9 et 10 septembre ? Le Bhoutan incarne la notion mythique de Shambala, ce royaume paradisiaque, enraciné dans les valeurs spirituelles bouddhistes. Même si, selon certains, le Bhoutan aurait été créé au XVIIe siècle sous le moine Shabdrung Ngawang Namgyal, ce n’est qu’en 1907 que s’installe une monarchie unifiant réellement les différents fiefs et seigneuries du territoire.

Comme pour les autres royaumes himalayens, les frontières du « Bhoutan » de l’époque étaient extrêmement poreuses et les populations de ces régions ont toujours été fort diversifiées en termes ethniques. Comment donc ce royaume du bonheur est-il vécu par l’une de ses ethnies, les Lhotsampa ?

L’histoire des Lhotsampa remonte à la fin du XIXe siècle, quand le Bhoutan a fait appel à de nombreux Népalais pour défricher les régions du sud du pays. Des Népalais agriculteurs, sans avenir dans leur pays, s’y sont donc installés, sur des terres considérées inhospitalières du fait du climat très humide et chaud du Teraï, à la base des Himalaya. Trois ou quatre générations s’y sont succédé, tout en gardant leur langue, le népali, leurs coutumes et leur religion, l’hindouisme. Ces personnes obtiennent officiellement le statut de citoyen en 1958.

Le gouvernement bhoutanais a dénommé cette population, à partir de 1985, les Lhotsampa, les « habitants du Sud ». En effet, la cohabitation était assez étanche entre ethnies, notamment avec les Bhotia dominant politiquement, qui occupent surtout le Nord du pays. Cependant, ce mode de coexistence fut rompu radicalement : la Loi sur la nationalité, en 1985, redéfinit les critères d’obtention du statut de citoyen et conduit à une série de recensements qui provoque la reclassification des résidents et a pu transformer le statut d’un citoyen en un non-citoyen.

De plus, est imposée une seule langue nationale, le dzongkha, la langue de l’ethnie Bhotia. Les cérémonies hindoues publiques sont interdites, les livres népali brulés, et les écoles lhotsampa et temples hindous fermés. Enfin, est rendu obligatoire pour tous le driglam namzha, c’est-à-dire les valeurs, les traditions ancestrales et la tenue vestimentaire des Bhotia.

Par conséquent, entre 86.000 (Amnesty international, 1994) et 100.000 (Hindu American Foundation, 2009 ; IOM, 2003) Bhoutanais d’origine népalaise ont choisi de – ou ont été forcés à – s’exiler au tout début des années 1990. Mais, de retour vers la terre de leurs ancêtres, le Népal, ils se sont en fait retrouvés dans des camps de réfugiés. Par la suite, quinze tables de négociations entre le Bhoutan et le Népal n’ayant rien donné, sept pays (Etats Unis, Pays-Bas, Norvège, Danemark, Nouvelle-Zélande, Australie et Canada) ont décidé, à partir de 2007, d’accueillir ces apatrides.

Les Lhotsampa devenus réfugiés au Canada sont actuellement résidents permanents. Après avoir passé près de vingt ans dans des camps sous l’égide du Haut-Commissariat aux réfugiés des Nations unies, après y avoir vu naître leurs enfants et, parfois même, leurs petits-enfants, ces nouveaux arrivants sont heureux d’avoir enfin trouvé patrie…

Alors, comment se fait-il que le Bhoutan occupe toujours une place privilégiée dans notre imaginaire ? En fait, le bonheur national brut n’a pas été conçu pour tous les Bhoutanais, mais uniquement pour la population Bhotia qui, dans les années 1990 – moment de l’exode des Lhotsampa – était minoritaire numériquement, mais dominante politiquement. Les quatre piliers (développement durable, préservation de la culture, conservation de la nature et bonne gouvernance) sont en principe tout à fait louables. Cependant, à l’examen plus poussé, nous prenons conscience que le deuxième pilier devient facilement problématique.

Qu’entend-t-on par « culture nationale » dans un pays composé de plus de vingt-cinq groupes ethniques distincts ? La question a été tranchée de manière catégorique : la culture du Bhoutan est celle des Bhotia, l’ethnie au pouvoir depuis l’installation de la monarchie en 1907. Le nouvel indice de bonheur national brut a permis à la monarchie bhoutanaise de légitimer, tant à l’interne qu’à l’international, sa répression, sa persécution des vingt-quatre autres cultures – linguistiques, religieuses – présentes sur son territoire et, plus particulièrement celle des Lhotsampa. Un peu plus de lucidité serait donc conseillée pour évoquer le Bhoutan, même pour les lunettes d’économiste !

Avec son indice mesurant le bonheur de sa population, le royaume bouddhiste est considéré comme un modèle par les Nations unies et l’OCDE !

Au Bhoutan, ce petit pays de moins d’un million d’habitants, niché entre l’Inde et la Chine, pas question de parler de Produit intérieur brut (PIB), la mesure de la production annuelle de richesse ! Ici, c’est le BNB qui prime : le Bonheur national brut ! Cet indice prend en compte le bien-être de sa population. Le BNB repose sur quatre piliers : la conservation et la promotion de la culture bhoutanaise, la préservation de l’environnement, la bonne gouvernance et le développement économique responsable et durable.

Ces quatre piliers sont enseignés aux enfants dès le plus jeune âge. Le pays prévoit par ailleurs de passer à une agriculture 100% biologique d’ici 2020. S’il y parvient, le Bhoutan serait le premier pays bio du monde ! En 2004, déjà, le Bhoutan s’était fait connaître en étant le premier du monde à prohiber le tabac.


Des ombres au tableau…

Parmi les autres mesures à mettre au crédit du pays, il convient de mentionner l’absence totale de panneaux publicitaires, l’interdiction de la vente de cigarettes, l’interdiction des chaînes de fast-food ainsi que l’éducation et les soins gratuits pour tous. Il a fallu attendre 1971 pour que le Bhoutan intègre officiellement les Nations unies et seulement en 1981 que le premier aéroport est construit sur le territoire.

Malgré tous ces efforts, 25% des habitants du Bhoutan vivent sous le seuil de pauvreté, selon les critères de l’ONU. Depuis quelque temps, le Bhoutan s’ouvre désormais au tourisme mais attention pour partager le bonheur des Bouthanais, chaque visiteur étranger doit s’affranchir d’un forfait de 250 $ par jour (200 $ en basse saison).
 
 



yogaesoteric


5 novembre 2017

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