Entretien avec Gregorian Bivolaru – Tantra, un chemin difficile et étroit comme le fil du rasoir

Article paru dans la revue roumaine Yoga Magazin en 2003 (n° 49)

« Le Tantra est une vision brillante de la vie et de la sublimation des énergies sexuelles. »
Mircea Eliade

Contesté ou accepté, le Tantra est encore sujet à de furieuses polémiques dans la presse. Défiant certains préjugés, certains dogmes et certaines inhibitions conscientisées ou non, détruisant toute fausse morale et amenant à la surface des aspects étonnants de la nature humaine, le TANTRISME, cette « terra mirabilis » renverse certains concepts, produit des révolutions, provoque des révélations et crée de nouveaux modes de vie. Qu’est-ce qui est bien et qu’est-ce qui est mal, où commence et où se termine la « moralité »? Est-ce l’illusion de certains individus à la recherche de sensations fortes ou bien le mystère d’une vérité ineffable encore inconnue? Qui peut répondre à ces questions? Est-il compatible avec le mode de vie occidental?

GREGORIAN BIVOLARU NOUS A MONTRÉ QUE OUI, MALGRÉ LES ATTAQUES QUI ONT CHERCHÉES À EMPECHER SON ACTIVITÉ DE PROMOTION DE CE COURANT SPIRITUEL.

« Conformément à la tradition millénaire du TANTRA, l’univers est né de l’union cosmique béatifique des principes Masculin et Féminin, dont l’expression est l’amour dans la sphère humaine. Ceci est indirectement une invitation à découvrir la dimension sublime et transfigurée de la sexualité. Pour celui qui l’étudie minutieusement, il est évident que le TANTRA a depuis longtemps compris l’importance de la force sexuelle qui est la force fondamentale de notre être et le moteur de la vie sur la planète, et a eu l’intuition de son utilité souvent inattendue pour la vie spirituelle. »

Adina Stoian: Pourquoi et comment en êtes-vous venu à vous intéresser au TANTRA?

Gregorian Bivolaru: J’ai commencé il y a plusieurs années à pratiquer le yoga. J’ai suivi la voie traditionnelle commune, celle indiquée par les grands sages de l’Orient. Ce chemin comprend entre autres éléments, le végétarisme, les jeûnes et la renonciation à beaucoup de choses, la sexualité inclus. La spiritualité orientale m’est apparue comme étant liée à la sexualité et c’est ainsi que j’ai compris la nécessité de la freiner ou même de la supprimer dans le cas de l’abstinence, afin de la sublimer. Pendant une certaine période j’ai pensé que c’était la Voie. Bien sûr, j’avais lu beaucoup de livres sur le TANTRA, et j’avais même étudié comme tout le monde toutes les références de Mircea Eliade en ce domaine, mais rien de plus.

Suite à la publication en France d’un de mes article à ce sujet, je suis parvenu à correspondre avec une femme tout à fait inhabituelle, bien que peu connue en France à cause de sa modestie, puis à la rencontrer. Cet être tout à fait fascinant par son intelligence, sa beauté et son élévation spirituelle était, même si elle n’aimait pas être appelée ainsi, un véritable guide spirituel tantrique féminin. Elle m’a fait découvrir certains aspects ésotériques du TANTRA YOGA tels qu’ils lui avaient été transmis dans un centre initiatique en Inde. Toujours à cette occasion, j’ai eu accès par elle à certains textes traditionnels yogis et tantriques secrets, qui m’ont permis de comprendre beaucoup de mystères.

Ce Guide spirituel féminin m’a offert quelques clés secrètes et, en m’introduisant dans cet univers mystérieux, elle m’a indiqué les sources de la pensée tantrique. Elle m’a fait comprendre les mystères de la transmutation biologique et de la sublimation. Ainsi j’ai réalisé que la spiritualité et la sexualité ne sont pas du tout opposées dans le cas d’une continence parfaite. J’ai pris conscience que ce serait une aberration de disperser son énergie et de perdre son temps à supprimer l’énergie sexuelle, alors qu’il est beaucoup plus intelligent et bénéfique de procéder exactement comme dans les arts martiaux – en utilisant simplement la force de l’adversaire – et d’utiliser de façon bénéfique et créatrice ces forces pour éveiller les aspects supérieurs de l’être en vue d’accélérer l’évolution spirituelle. À une époque où la sexualité représente un pôle fondamental de focalisation, je considère que le Tantra Yoga est exactement ce qu’il faut à l’homme moderne.

Adina Stoian: Quand avez-vous commencé à vous occuper de façon pratique du YOGA TANTRIQUE?

Gregorian Bivolaru: Dans les années soixante-dix. J’étais déjà professeur de yoga à cette époque. Je pratiquais déjà certaines formes de TANTRA et j’étais entièrement convaincu de ses effets extraordinaires à tous les niveaux de l’être humain.

Adina Stoian: Croyez-vous que le TANTRA s’adapte actuellement au monde contemporain?

Gregorian Bivolaru: La civilisation occidentale est clairement en déclin. Elle a souligné indûment les valeurs patriarcales, les valeurs soi-disant « masculines » de l’être humain, principalement fondées sur la raison et l’intellect. Les valeurs féminines comme l’intuition, la réceptivité, vivre la vie, sentir les mystères de la nature, sont consciemment négligées. À l’Ouest, la spiritualité est souvent une négation de la vie et surtout de la vie sexuelle. De ce point de vue, le TANTRA apporte ce que je considère comme une solution sage: la réévaluation consciente des valeurs féminines en vue de la polarisation et de l’unification.

Parce que toute femme harmonieusement structurée et pleinement consciente de son potentiel est un intermédiaire cosmique très puissant en comparaison avec l’homme, elle peut atteindre la Réalité Ultime grâce à l’intuition. La femme porte souvent en elle sans le soupçonner une force sexuelle qui peut être sublimée en totalité par la transmutation et la canalisation bénéfique de son pouvoir de procréation, ce qui signifie qu’elle se sentira de plus en plus proche du Créateur.

Par définition, le Tantra Yoga cherche à mettre ces vérités en pratique. Les initiés tantriques ont compris depuis longtemps l’importance énorme de la force sexuelle considérée comme énergie, et qui est la force fondamentale de notre ego et le moteur de toute notre vie sur cette planète. Ils ont également deviné son utilité pour accélérer l’accomplissement spirituel. Le TANTRA nous donne un accès direct à une spiritualité sans dogmes et qui en principe n’est pas opposée aux autres religions, car elle n’en est pas une en soi. Le TANTRA nous donne une autre vision qui est dans son essence identique à celle des religions. Par l’expérience de l’amour tantrique, l’être a une vision différente de la sexualité ; celle-ci n’est pas déchaînée comme dans ce qu’on appelle la liberté sexuelle, qui est limitée à la vulgaire psycho-physiologie et qui a comme seul objectif que l’on se sente relativement bien dans son corps grâce à une vie sexuelle satisfaisante. Tendant vers l’infini, le TANTRA nous propulse bien au-delà de ces aspects et nous propose une véritable « méditation béatifique en couple ». Entre les deux personnes peut alors s’établir un contact infiniment plus profond qui forge l’unité du couple. Par ce fait, les deux amants parviennent à transcender les plans inférieurs de la conscience ordinaire. Atteindre un autre niveau de conscience par fusion télépathique avec la conscience de l’autre est quelque chose de facilement réalisable même si, à première vue, cela semble mystérieux. C’est tout simplement ce que la plupart des ascètes cherchent à atteindre par la méditation profonde. La sexualité ordinaire avec décharge ou éjaculation ne permet pas une concentration des énergies intérieures d’une intensité suffisamment grande et c’est pourquoi elle n’a pas d’effets significatifs à ce niveau. Il est évident pour quiconque que la pratique sexuelle tantrique, grâce à la sublimation, amplifie extraordinairement toutes les énergies bénéfiques de l’être, les faisant dépasser leur niveau habituel et élevant et raffinant à la fois nos vibrations intérieures.

Dans l’expérience amoureuse tantrique, la sexualité n’est pas une fin en soi, mais un moyen, qui a sa propre valeur. Par la sexualité contrôlée et sublimée peut survenir à un moment donné la transcendance béatifique du plan de la conscience ordinaire.

Adina Stoian: Dans cette présentation condensée du tantrisme ainsi faite pour rendre possible sa compréhension en Occident, quel est le rôle de l’amour ? La pratique des différentes procédures du TANTRA peut-elle être réalisée dans une relation de couple stable ?

Gregorian Bivolaru: D’apès ce que je sais, surtout en Occident où ces pratiques se sont répandues de plus en plus ces derniers temps, la plupart de ceux qui suivent des cours spéciaux de TANTRA pratiquent les enseignements appris au sein d’un couple marié et stable, basé sur l’affection et le respect mutuel. On enseigne aux deux membres du couple comment aimer l’autre et à voir dans l’autre la représentation transfigurée du Suprême : SHAKTI, la Force maternelle, l’Eternel Féminin en la femme, et respectivement, SHIVA, l’Essence Divine ou le Suprême Masculin en l’homme.

Dans l’amour transfigurateur tantrique, non seulement un homme s’unit à une femme, mais aussi à ce qui est perçu comme grandiose, sublime et énigmatique dans et au-delà de l’être de la femme qui est en face de lui. L’homme a alors l’intuition des forces supérieures que la femme présente et manifeste par résonance. En face de son corps nu, l’homme perçoit les énergies qu’elle incarne. Ce processus sublime est valable réciproquement pour la femme dans son rapport avec l’homme avec lequel elle s’unit. Lorsqu’on commence à percevoir de façon ineffable les aspects transfigurateurs divins ou ultimes de l’être aimé, l’amour devient cosmique et on pratique vraiment le TANTRA. Tant qu’on n’a pas ces perceptions extraordinaires, même si l’on utilise des « techniques» tantriques et que l’on atteint certaines performances en termes de continence, on ne pratique pas encore réellement le TANTRA.

L’orgasme habituel accompagné par l’éjaculation est purement et simplement génital et mécanique. Dans l’amour tantrique transfigurateur, l’action de SHAKTI en coopération subtile avec SHIVA permet aux deux amoureux d’atteindre un orgasme total, cosmique, qui se manifeste à un niveau différent de l’être et est dépourvu d’éjaculation. En fait, dans le cas de l’extase amoureuse tantrique, le mot orgasme ne correspond plus que partiellement. Il est significatif qu’en Occident nous n’ayons pas de meilleur mot pour décrire cette expérience céleste. S.B. Dasgupta parle de béatitude. Par l’amour tantrique, la femme, à son tour, peut atteindre plusieurs formes d’orgasme sans décharge et de plus en plus élevés.

Adina Stoian: Dans les articles sur le TANTRA que vous avez publiés, vous affirmez que la dite phase orgastique qui précède l’éjaculation est, en termes d’énergie, la plus intense du point de vue du plaisir, étant la plus marquante. Vous affirmez aussi que tout l’art de l’amour sans fin consiste en faire durer éternellement cette phase, sans que cela finisse avec une éjaculation. De quoi s’agit-il, en réalité?

Gregorian Bivolaru:
Il s’agit de ce que beaucoup de tantriques avancés appellent « le fil du rasoir ». Pour nous maintenir ici autant de temps que l’on veut, il faut bien sûr une concentration presque absolue qui est souvent assez difficile à réaliser. C’est là qu’apparaît la rupture du plan de conscience : une ou deux minutes d’inattention suffisent parfois à nous faire perdre le contrôle. Puis, après l’éjaculation, on se demande, étonné : « que s’est-il passé avec moi, je me suis endormi, qu’est-ce qui s’est passé ? ». À ce tournant même, il y a une incroyable et mystérieuse possibilité d’ouverture vers l’infini. Lorsque nous atteignons cette concentration absolue, nous pouvons fusionner avec le Soi, parce qu’alors les frontières du moi éphémère disparaissent. Le sens du moi limité disparaît comme par magie. Nous sommes instantanément fusionnés et nous devenons un avec cette expérience. C’est ce que tous les yogis et les mystiques aspirent à atteindre. Certains se demanderont peut-être pourquoi il est plus facile d’atteindre une concentration maximale pendant l’acte sexuel parfaitement maîtrisé, que dans toute autre situation. C’est parce qu’il est toujours plus facile de se concentrer sur des expériences très agréables, au cours desquelles le mental est dynamisé à l’aide des énergies sublimées.

Adina Stoian: En termes de contraception, une telle technique semble être très intéressante. S’il n’y a pas d’éjaculation, que se passe-t-il avec le sperme qui ne sera pas éliminé à la fin du contact amoureux?

Gregorian Bivolaru: Nous ne pouvons pas simplement dire que le TANTRA est une méthode contraceptive naturelle. En fait, je n’ai jamais parlé d’une telle chose. Toutefois, dans ce sens, chacun est libre d’utiliser ses propres méthodes. En ce qui concerne l’éjaculation, il faut dire que la plupart des gens ont un bon nombre d’idées fausses à ce sujet parce qu’à cause des préjugés, c’est un phénomène courant chez eux. L’homme ordinaire a généralement au moins une ou deux éjaculations par semaine. Dans le TANTRISME, ceci signifie une perte au moins 52 fois par an de cette énergie sexuelle, ce qui mène à un épuisement considérable.

Voyons ce qui se passe vraiment quand il y a la rétention totale, comme dans le cas de la continence. Le sperme de l’homme occidental est trop liquide à cause des excès éjaculatoires, et quand l’excitation est très forte, une certaine quantité sera éliminée. Pour les hommes qui pratiquent le TANTRA, une rétention séminale très longue aura comme conséquence la transmutation biologique du sperme, ce qui rendra possibles les processus de sublimation de l’énergie.

Adina Stoian: Quels sont les rapports entre le TANTRISME et le TAOÏSME de l’amour qui, à son tour, conseille la rétention de l’éjaculation?

Gregorian Bivolaru: En Chine, les taoïstes ont principalement utilisé la force sexuelle transmutée comme élixir de longévité. Il est évident que les taoïstes ont des techniques très proches de celles qui sont utilisées dans le Tantrisme. Nul doute que dans le passé, de nombreux échanges d’opinions du point de vue technique ont eu lieu entre les adeptes du Taoïsme de l’amour et les adeptes du Tantrisme. Pour les taoïstes, le contrôle et la transmutation du potentiel sexuel sont des moyens particulièrement rapides pour développer la force vitale subtile. Cependant, ils ne parviennent pas toujours à la spiritualisation complète de la sexualité.

Adina Stoian: Certains disent que le TANTRA peut être dangereux.

Gregorian Bivolaru: Il ne peut y avoir de danger lorsque les procédés du TANTRA sont appliqués en conformité avec les indications d’un vrai spécialiste, parce que certaines de ces modalités ne peuvent être apprises que sous la forme d’une initiation graduelle offerte par un Guide spirituel, certains exercices s’avérant dangereux seulement en dehors de ce contexte. En agissant avec bon sens et intelligence, de véritables sauts sont possible par le TANTRA, parfaitement réalisables par les Occidentaux. Des réalisations extraordinaires ont souvent été obtenues ces trente dernières années par des couples occidentaux qui pratiquent le TANTRA. Dans tous ces cas, les succès spirituels ont été éloquents et personne n’a été confronté à aucun danger.

Yogaesoteric
2012

Also available in: Română

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