5. Méditer comme un oiseau

                                                                                                      Selon Jean-Yves Leloup, „Écrits sur l’hésychasme”

Être dans une bonne assise, être orienté droit dans la lumière, respirer comme un océan, ce n’est pas encore la méditation hésychaste, lui dit le père Séraphin, tu dois apprendre maintenant à méditer comme un oiseau, et il le mena dans une petite cellule proche de son ermitage où vivaient deux tourterelles. Le roucoulement de ces deux petites bêtes lui parut d’abord charmant, mais ne tarda pas à énerver le jeune philosophe. Elles choisissaient en effet le moment où il tombait de sommeil pour se roucouler les mots les plus tendres.

Il demanda au vieux moine ce que signifiait tout cela et si cette comédie allait durer encore longtemps. La montagne, l’océan, le coquelicot passe encore (quoi qu’on puisse se demander ce qu’il y a de chrétien dans tout cela), mais maintenant lui proposer cette volaille languissante comme maître de méditation c’en était trop !

Le père Séraphin lui expliqua que dans l’Ancien Testament, la méditation est exprimée par des termes de la racine ” haga ” rendus le plus souvent en grec par mélété -meletan- et en latin par meditari -meditatio. La racine dans son sens primitif signifie ” murmurer à mi-voix “. Elle est également employée pour désigner des cris d’animaux, par exemple le rugissement du lion (Isaïe 31,4), le pépiement de l’hirondelle et le chant de la colombe (Isaïe 38, 14), mais aussi le grognement de l’ours.

” Au mont Athos on manque d’ours. C’est pour cela que je t’ai conduit auprès de la tourterelle, mais l’enseignement est le même. Il faut méditer avec ta gorge, non seulement pour accueillir le souffle, mais aussi pour murmurer le nom de Dieu jour et nuit . . . ”

Quand tu es heureux, presque sans t’en rendre compte, tu chantonnes, tu murmures quelquefois des mots sans signification, et ce murmure fait vibrer tout ton corps de joie simple et sereine.

Méditer, c’est murmurer comme la tourterelle, laisser monter en soi ce chant qui vient du coeur, comme tu as appris à laisser monter en toi le parfum qui vient de la fleur . . . méditer, c’est respirer en chantant, sans son extérieur.

Sans trop s’attarder à sa signification pour le moment, je te propose de répéter, de murmurer, de chantonner ce qui est dans le coeur de tous les moines de l’Athos. ” Kyrie eleison, kyrie eleison. . . ” Cela ne plaisait pas trop au jeune philosophe. Lors de certaines messes de mariage ou d’enterrement il avait déjà entendu cela, on traduisait en français par ” Seigneur prends pitié “.

Le moine Séraphin se mit à sourire : ” Oui, c’est une des significations de cette invocation, mais il y en a bien d’autres. Cela veut dire aussi ” Seigneur, envoie ton Esprit . . .! Que ta tendresse soit sur moi et sur nous tous, que ton Nom soit béni, etc., ., mais ne cherche pas trop à te saisir du sens de cette invocation, elle se révèlera d’elle-même à toi. Pour le moment sois sensible et attentif à la vibration qu’elle éveille dans ton corps et dans ton coeur.

Essaies de l’harmoniser paisiblement avec le rythme de ta respiration. Quand des pensées te tourmentent, reviens doucement à cette invocation, respire plus profondément, tiens-toi droit et immobile et tu connaîtras un commencement d’hésychia, la paix que Dieu donne sans compter à ceux qui l’aiment. ”

Le ” Kyrie eleison ” lui devint au bout de quelques jours un peu plus familier. Il l’accompagnait comme le bourdonnement accompagne l’abeille lorsqu’elle fait son miel. Il ne le répétait pas toujours avec les lèvres, mais avec le cœur. Le bourdonnement devenait alors plus intérieur et sa vibration plus profonde.

Le ” Kyrie eleison ” dont il avait renoncé à ” penser ” au sens le conduisait parfois dans un silence inconnu et il se retrouvait dans l’attitude de l’apôtre Thomas lorsque celui-ci découvrit le Christ ressuscité ” Kyrie eleison “, Mon Seigneur est mon Dieu.

L’invocation le plongeait peu à peu dans un climat d’intense respect pour tout ce qui existe. Mais aussi d’adoration pour ce qui se tient caché à la racine de toutes les existences. Le père Séraphin lui dit alors : ” Maintenant tu n’es pas loin de méditer comme un homme. Je dois t’enseigner la méditation d’Abraham “.

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