L’Italie dans le plan nucléaire du Pentagone

 

Le Pentagone a laissé – ou fait – fuiter le brouillon du Nuclear Posture Review 2018. Il s’agit d’un plaidoyer pour renforcer le programme atomique en décrivant des menaces exagérées ou carrément imaginaires.

Le Nuclear Posture Review 2018, le rapport du Pentagone sur la stratégie nucléaire des États-Unis, était en janvier en phase de révision à la Maison-Blanche. Dans l’attente que soit publiée la version définitive approuvée par le président Trump, a filtré (plus exactement le Pentagone a fait filtrer) l’ébauche du document de 64 pages [Document téléchargeable ici.].

Il décriait un monde dans lequel les États-Unis ont devant eux « une gamme sans précédents de menaces », provenant d’États et de sujets non-étatiques. Tandis que les USA ont continué à réduire leurs forces nucléaires – soutient le Pentagone – la Russie et la Chine fondent leurs stratégies sur des forces nucléaires dotées de nouvelles capacités et prennent « une attitude de plus en plus agressive y compris dans l’espace externe et dans le cyber-espace ». La Corée du Nord continue de façon illicite à se doter d’armes nucléaires. L’Iran, bien qu’il ait accepté le plan qui lui interdit de développer un programme nucléaire militaire, garde « la capacité technologique de construire une arme nucléaire en l’espace d’une année ».

Falsifiant une série de données, le Pentagone essaie de démontrer que les forces nucléaires des États-Unis sont en grande partie obsolètes et nécessitent une radicale restructuration. Il ne dit pas que les USA ont déjà lancé, en 2014 avec l’administration Obama, le plus grand programme de réarmement nucléaire depuis la fin de la Guerre froide pour un coût de plus de 1.000 milliards de dollars. « Le programme de modernisation des forces nucléaires US –documente Hans Kristensen de la Fédération des scientifiques américains (FAS) – a déjà permis de réaliser de nouvelles technologies révolutionnaires qui triplent la capacité destructrice des missiles balistiques états-uniens ».

Le but de la restructuration projetée est, en réalité, d’acquérir « des capacités nucléaires flexibles », en développant des « armes nucléaires de faible puissance » utilisables même dans des conflits régionaux ou pour répondre à une attaque (vraie ou présumée) de hackers contre des systèmes informatiques.

La principale arme de ce type est la bombe nucléaire B61-12 qui, confirme le rapport, « sera disponible en 2020 ». Les B61-12, qui remplaceront les actuelles B-61 basées par les USA en Italie, Allemagne, Belgique, Pays-Bas et Turquie, représentent – d’après le Pentagone – « un signal clair de dissuasion pour toute puissance adverse, que les États-Unis possèdent la capacité de répondre à l’escalade depuis des bases avancées ».

Comme documente la Fédération des scientifiques américains, la bombe que le Pentagone déploiera sur ses « bases avancées » en Italie et en Europe n’est pas seulement une version modernisée de la B61, mais une nouvelle arme avec une tête nucléaire à quatre options de puissance sélectionnables, un système de guidage qui permet de la larguer à distance de l’objectif, et la capacité de pénétrer dans le terrain pour détruire les bunkers des centres de commandement.

À partir de 2021 – spécifie le Pentagone – les B61-12 seront disponibles aussi pour les avions de chasse des alliés, parmi lesquels les Tornado italiens PA-200 du 6ème Stormo de Ghedi. Mais, pour les guider sur l’objectif et en exploiter les capacités anti-bunker, il faut des avions de chasse F-35A. « Les avions de chasse de nouvelle génération F-35A – souligne le rapport du Pentagone – maintiendront la force de dissuasion de l’Otan et notre capacité à déployer des armes nucléaires dans des positions avancées, si la sécurité le nécessite ».

Le Pentagone avait annoncé donc son plan de déploiement des F-35A, armés de B61-12, adossés à la Russie. Évidemment pour la « sécurité » de l’Europe. Dans le rapport du Pentagone, que le sénateur démocrate Edward Markey définit comme une « feuille de route pour la guerre nucléaire », l’Italie se trouve donc au premier rang.

Les Etats-Unis ont publié le 2 février le nouvel examen de la posture nucléaire (Nuclear Posture Review – NPR), huit ans après le dernier examen commandé par Barack Obama, daté du 6 avril 2010.

Ce document d’une centaine de pages, demandé par Donald Trump dès le 27 janvier 2017, rappelle que les Etats-Unis ont été les précurseurs dans le domaine de la réduction des armements nucléaires, marqué par la signature en 1991 du traité portant sur la réduction des armements stratégiques (Strategic Arms Reduction Treaty – START), renouvelé en 2010 (New START) et limitant à 700 vecteurs et à 1.550 ogives le nombre d’armes nucléaires stratégiques déployées par les Etats-Unis et la Russie.

Dès la préface signée par le Secretary of Defense, ce nouvel examen dénonce la Russie, accusée d’avoir conservée un grand nombre d’armes nucléaires tactiques et de moderniser sa triade nucléaire stratégique, et la Chine, accusée quant à elle de vouloir concurrencer la supériorité militaire américaine « traditionnelle » dans le Pacifique Ouest. Le document justifie ce retour de la compétition entre les grandes puissances en évoquant pêle-mêle la violation par la Russie du traité sur l’élimination des forces nucléaires à portée intermédiaire (traité FNI) ou le rejet par la Chine de l’arrêt de la cour permanente d’arbitrage de la Haye sur le conflit l’opposant à la République des Philippines.

Evoquant également les provocations nord-coréennes, les ambitions iraniennes et la menace terroriste, l’examen de la posture nucléaire milite pour une stratégie de dissuasion nucléaire flexible, permettant au Président des Etats-Unis de disposer d’une réponse adaptée aux circonstances, quitte à reprendre l’héritage de la Guerre froide. Se justifiant par la nouvelle doctrine russe supposée cautionner l’usage limité d’armes nucléaires à faible charge, l’examen de la posture nucléaire annonce le développement de nouvelles capacités nucléaires non-stratégiques : charges militaires à effet limité montées sur les missiles embarqués sur sous-marins, nouveau missile de croisière lancé depuis la mer, chasseur multi-rôles F-35…

L’administration américaine s’oppose de plus en plus ouvertement aux deux autres puissances mondiales que sont la Chine et, dans une moindre mesure, la Russie. Durant son intervention devant l’université du Texas, le 1er février, le Secretary of State a qualifié ces deux pays de « prédateurs » pouvant mettre en danger la souveraineté des nations du continent américain, plus particulièrement de l’Amérique latine. La Chine, premier partenaire commercial du Chili, de l’Argentine, du Brésil et du Pérou, a en particulier été visée, Rex Tillerson dénonçant ses pratiques qualifiées de déloyales. La Russie a quant à elle été accusée de fournir des équipements militaires à des régimes « inamicaux ». Moscou a répondu le 5 février à cette intervention, regrettant que la doctrine Monroe, vieille de près de 200 ans, soit toujours en vigueur et veuille garantir le « pré carré » des Etats-Unis sur le continent américain. Moscou avait également répondu le 3 février à la publication de la NPR, réfutant l’ensemble des accusations portées contre la Russie. Pékin s’est également prononcé officiellement, que ce soit à propos de la NPR, demandant aux Etats-Unis d’abandonner leur mentalité de « guerre froide », et en réaction à l’intervention de Rex Tillerson, dénonçant une vision en totale contradiction avec la réalité et une absence de respect vis-à-vis des pays d’Amérique latine.

 

yogaesoteric
22 juin 2018

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