Fake news et complotisme

Le 3 janvier, Macron annonçait sa volonté d’une loi pour contrer les fake news. Son discours était suivi d’un sondage dans lequel, à en croire la presse, on apprenait que quatre Français sur cinq sont presque complotistes.

Trois ans plus tôt, en janvier 2015, François Hollande annonçait sa volonté d’une loi pour contrer les théories du complot. Son discours était suivi d’un rapport sur le complotisme puis de la loi renseignement

Les souverainistes sont-ils anti-sémites ?

Le rapport de février 2015 était publié par la Fondation Jean-Jaurès, think tank du Parti Socialiste, mais rédigé par un inconnu nommé Rudy Reichstadt. L’auteur ne semble pas avoir eu d’activité avant celle-ci puisque son nom n’apparait nulle part antérieurement à la rédaction de ce rapport. Cet ancien élève de Sciences-Po Aix avait créé son site autoproclamé « observatoire » et le faisait fonctionner en solo sans publicité ni subvention apparente depuis huit ans.

En janvier 2018, on retrouve la même équipe : Rudy Reichstadt et la Fondation Jean Jaurès sont à l’origine du sondage IFOP sur le complotisme. Hasard du calendrier, ils le commandent trois semaines avant l’annonce par Macron d’une loi de contrôle de l’information, et en publient les résultats quatre jours après.

Il faut lire le rapport de 2015 pour comprendre que l’enjeu de ces questions n’est pas de lutter contre des croyances aveugles en des thèses absurdes, mais précisément de se servir de ces thèses pour décrédibiliser les paroles dissidentes. Ce rapport et la campagne qui s’ensuit remplissent trois missions : désigner le complotisme comme une pathologie, établir un lien entre les complotistes et les mouvances infréquentables (révisionnistes, antisionistes, etc.), et enfin accuser certaines idées de complotisme pour les disqualifier. Et pour donner un ton scientifique à la chose, le tout est agrémenté de travaux de chercheurs. En clair, si vous avez des doutes sur la version officielle de l’assassinat de Kennedy, cela signifie que vous êtes paranoïaque et que vous doutez de l’existence de la Shoah, c’est prouvé par la science. On découvre aussi dans ce rapport qu’une thèse complotiste en vogue est de considérer que la loi de 73, dite Pompidou-Giscar a une responsabilité dans l’explosion de la dette. Rappelons que cette loi imposait l’interdiction à l’État d’emprunter à la Banque de France, et se prolongeait dans les traités européens par l’interdiction faite à tous les États de l’UE d’emprunter auprès de la BCE, les contraignant ainsi à se fournir sur les marchés financiers. Juste ou pas, cette idée relève du débat sur une question économique et certainement pas d’une croyance absurde, mais pour achever de transformer les eurosceptiques en complotistes, l’auteur fait planer au-dessus d’eux l’étiquette d’antisémite en les soupçonnant de penser que l’origine de la loi de 73 est un complot de banquiers juifs contre la nation. En clair, si vous pensez qu’un État européen devrait être autorisé à emprunter à la BCE, alors vous êtes instable et antisémite.

Mais le plus édifiant dans cette lecture est encore l’écœurante énumération descriptive des complotistes : « mouvance hétéroclite, fortement intriquée avec la mouvance négationniste, et où se côtoient admirateurs d’Hugo Chavez et inconditionnels de Vladimir Poutine. Un milieu interlope que composent anciens militants de gauche ou d’extrême gauche ; ex-‘Indignés’ ; souverainistes ; nationaux-révolutionnaires ; ultra-nationalistes ; nostalgiques du IIIe Reich ; militants anti-vaccination ; partisans du tirage au sort ; révisionnistes du 11-Septembre ; antisionistes ; afrocentristes ; survivalistes ; adeptes des ‘médecines alternatives’ ; agents d’influence du régime iranien ; bacharistes ; intégristes catholiques ou islamistes ». On est rassuré de savoir que ce rapport émane de l’élite intellectuelle du Parti socialiste, chantre de la tolérance et champion de la diversité.

Hasard du calendrier, trois semaines après la publication de ce rapport était annoncée la procédure accélérée de présentation de la loi renseignement devant le Parlement. Cette loi autorisait notamment l’exécutif à ne pas passer par la case justice pour bloquer des sites internet ou espionner les navigations web de n’importe quel particulier. Rappelons-nous aujourd’hui que cette loi promulguée en été 2015 prévoit un rapport d’étape… avant le 30 juin 2018.

Il est donc probable que le sondage complètement (et grossièrement) bidonné (voir chapitre suivant) du 7 janvier ne soit qu’une pièce de plus dans la campagne de propagande destinée à préparer l’opinion à une loi qui rendra toute opinion divergente bientôt suspecte, voire illégale.

Un Français sur dix croit-il que la terre est plate ?

En février 2015, Rudy Reichstadt et la Fondation Jean Jaurès présentaient un rapport alarmant sur le complotisme qui, hasard du calendrier, tombait juste avant les débats sur la loi renseignement. En décembre 2017, les mêmes commandaient à l’IFOP un sondage sur le complotisme dont, hasard du calendrier à nouveau, ils présentaient les résultats – alarmants bien entendu – quatre jours après l’annonce par Macron d’une loi de contrôle de l’information

Ce qui frappe d’abord dans ce sondage ce sont ses 150 pages alors que la moyenne de ceux publiés par l’IFOP depuis deux mois est de 19 pages. Il s’agit donc d’une commande colossale de la Fondation Jean Jaurès dont le budget (2,7 millions) est quasi-intégralement composé de subventions publiques directes ou indirectes. On ne posera pas la question de savoir si une telle commande correspond aux missions de la Fondation, pour lesquelles elle reçoit autant d’argent public, mais on notera que le volume imposant de l’enquête la met à l’abri d’être lue par les journalistes. Autre fait remarquable, le sondage fait l’objet d’une intense campagne de communication faisant même appel à Raphaël Enthoven comme caution morale (BHL aurait sans doute été trop voyant). Enfin, l’enquête est préparée par Rudy Reichstatdt et on s’attend donc à des questions un peu biaisées et une présentation légèrement orientée. Erreur : l’enquête est un énorme bidonnage grossièrement truqué.

Le premier objectif de ce sondage est de nous montrer que le conspirationnisme submerge la population, et le deuxième de construire un portrait-robot répulsif de celui qui doute des informations officielles : peu instruit, superstitieux, frustré dans sa vie professionnelle et votant pour des infréquentables (il y a des questions très pointues sur le niveau d’études, la confiance en soi, l’orientation politique ou l’horoscope pour tenter d’établir des corrélations). Donc si vous faites partie des gens sympas et que vous ne voulez pas être associé à ces pauvres types aigris, ne doutez pas de ce que vous disent les médias d’État ou subventionnés par lui.

Pour obtenir les résultats souhaités, le sondeur soumet onze affirmations réputées complotistes par lui-même et mesure ainsi… l’adéquation de la population avec ses propres opinions. Pour donner un peu de crédit à la chose, il va y mêler des thèses farfelues et on lira que 9% de Français croient que la terre est plate (il n’y a vraiment que le sondeur pour croire à ces réponses pieds-de-nez). Pour démontrer le bidonnage, on se limitera à deux exemples car le démontage de manipulations est long et fastidieux, mais tout dans ce sondage est invalide.

Sur la méthode

À côté de questions comme croire aux premiers pas sur la lune ou penser que la terre est plate, on demande au sondé s’il s’imagine qu’il y a collusion entre le ministère de la Santé et l’industrie pharmaceutique. Le message passé par cette seule juxtaposition de questions est que l’idée de cette collusion est absurde. Et afin de la disqualifier, la formulation est caricaturale : le ministère de la Santé est de mèche avec l’industrie pharmaceutique pour cacher au grand public la réalité sur la nocivité des vaccins. Les termes « de mèche, cacher au grand public la réalité, nocivité des vaccins » donnent un air conspirationniste à une idée raisonnable que le sondeur détourne vers une quasi-folie : penser que la décision des onze vaccins obligatoires poursuit un but économique qui comporte des risques de santé, ce serait penser que les vaccins sont nocifs. La manipulation est énorme mais la méthode fonctionne puisque les journalistes s’empressent de montrer qu’eux, ne croient pas à ces sornettes en se moquant des sceptiques, c’est-à-dire précisément de ceux qui font preuve d’esprit critique.

Sur la présentation

Ci-dessus un extrait de diapo projetée lors de la présentation à la presse et annoncée par le commentaire de l’IFOP comme la ventilation de ceux qui croient à au moins cinq de ces thèses. Au premier regard sur les 48%, on pense que la moitié des complotistes lit son horoscope tous les jours. Non. Regardez bien : 48+35+25+22 est largement supérieur à 100 et on comprend que c’est la moitié des lecteurs d’horoscope quotidien qui est complotiste, ce qui est radicalement différent. Les chiffres qui permettraient de cerner un éventuel profil sont autre part dans le rapport, les voici :

CONSULTATION HOROSCOPEQuotidiennementUne fois/semaineUne fois/moisJamais
Ensemble population6%11%20%63%
Ceux qui croient à 5 ou 6 théories9%10%23%58%

On voit qu’en réalité les variations sont beaucoup trop faibles pour supposer une corrélation et que les supposés complotistes ne lisent pas l’horoscope plus que n’importe qui, malgré les efforts du sondeur.

Pour qu’un journaliste se penche sur ce rapport dans ses détails, il faudrait qu’il travaille et c’est ainsi que dans une chronique de France-Culture relatant ce sondage, un journaliste estime avec un écœurant mépris qu’il serait intéressant de sonder les Français… sur leur fréquence de lecture d’horoscope. On se dit alors qu’il serait plutôt intéressant de sonder les journalistes sur la fréquence de lecture d’autre chose que ce qu’ils écrivent eux-mêmes.

Pourquoi Macron devrait lire Tolstoï

Dans le sondage du 7 janvier dernier sur le complotisme, dont on attribuera la dramatisation des résultats à la volonté de l’État de justifier une loi sur le contrôle de l’information, on apprend que 79% des Français croient à au moins une théorie du complot. On peut s’alarmer de cette folie qui saisit une si grande majorité d’entre nous, mais encore faut-il savoir ce que le sondeur désigne par théorie du complot. Eh bien sachez par exemple que si vous doutez que les services occidentaux n’aient jamais collaboré avec al-Qaida, ou bien si vous pensez qu’il existe une collusion entre le ministère de la Santé et l’industrie pharmaceutique, alors vous êtes classés conspirationnistes. L’un des objectifs de ce sondage est précisément de faire passer ces thèses pour du complotisme, c’est-à-dire de faire passer toute analyse divergente de la position officielle pour de la folie. En résumé, la question n’est plus de savoir le vrai du faux, mais le droit ou non de penser différemment d’un journaliste de France-Info.

Il y a de nombreux enseignements à tirer de cette enquête qui constitue une troublante radiographie de notre société, notamment parce qu’elle traite d’un sujet fondamental et père de beaucoup d’autres : l’information.

Le résultat le plus important est sans doute que les trois quarts des Français doutent de ce qu’ils lisent et entendent via les médias d’État ou vivant de ses subsides. Trois quarts des Français qui ne croient pas ce que l’État leur dit, cela révèle l’état alarmant de notre démocratie. On a entendu les cris outrés des journalistes du service public et des sondeurs annonçant avec dépit et agacement que l’on a affaire à une société de défiance. Tels le père Ubu, ils s’agacent de ce peuple méfiant qui ne leur plait pas, mais l’idée ne les effleure pas qu’ils sont précisément les seuls responsables de cette défiance. Car enfin, d’où viennent les fake news justifiant les guerres atroces de ces vingt dernières années sinon de nos gouvernements et des médias ? Quand on ne donne plus la parole à Todd parce qu’il explique que les hommes au pouvoir sont incompétents ; quand on ne la donne (plus) jamais à Lordon parce que ses analyses sont incompatibles avec celles du pouvoir ; quand on fait passer Asselineau pour un cinglé parce qu’il est irrémédiablement anti-UE et anti-OTAN ; quand on méprise un tiers des électeurs parce qu’ils ne votent pas comme il faut ; quand les journalistes-stars du service public considèrent leur place assise comme une tribune de droit pour exprimer leurs certitudes arrogantes et juger au lieu d’interroger ; quand on a supprimé toute diversité d’opinion et tout débat contradictoire sur ces médias ; alors il faut plutôt s’étonner qu’il reste encore un quart des Français pour les écouter.

La vraie folie du complotisme est de reposer sur un postulat consistant à croire qu’il existe un pouvoir, localisable et puissant, capable de décider de l’avenir en organisant des phénomènes exceptionnels. Ce postulat est intéressant parce qu’il est celui des chefs d’État qui se pensent capables de mener une action qui décidera d’un avenir dont ils se croient les seuls maîtres. Oublie-t-on que les États-Unis, qui engagent à eux seuls la moitié des dépenses mondiales d’armement, sont sans cesse mis en échec militaire sur la planète depuis 50 ans ? N’y a-t-il pas là quelque leçon ? Certes, ils ont largement soutenu – voire créé – Ben Laden avec succès pour donner son Vietnam à l’Union soviétique en Afghanistan, certes Sarkozy et BHL ont créé des fake news pour déclencher leur guerre en Libye, certes les exemples de ces mensonges d’État – complots bien réels ayant réussi – sont innombrables mais on remarquera qu’il s’agit toujours de capacité à installer du désordre, de simple capacité de nuisance. Il en va autrement des grands projets et il faut relire les dernières pages de « Guerre et Paix » pour comprendre que le succès des grandes batailles ne dépend pas du commandement, mais de chaque soldat au feu. La victoire dépend de la confiance de tous en chacun et le sondage montre que dans cette bataille pour la démocratie, la confiance a été laminée, ce qui rend toute victoire impossible et toute catastrophe probable. Espérons que si le chef de l’État comprend que la priorité est de restaurer cette confiance, il n’ait pas la folie de penser que cela se fera sur sa seule décision à coup de mensonges, telles ces fake news imaginaires, destinées à justifier une loi interdisant la pluralité d’opinion.

Il ne nous reste finalement plus qu’à espérer que Macron lise Tolstoi.
Et le comprenne.



yogaesoteric

17 mai 2018 

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